FIRST STEP;

Des histoires, il y en a dans le monde. Heureuse, dramatique, héroïque, ennuyeuse. Il y a toute sorte d'histoire, bien que certaines ne soient pas racontés. Mais la mienne, en vaut-elle le détour ? Je pense que je pourrais la ranger dans la catégorie "honte", avec une pointe de "tristesse". Peut-être y a-t-il un peu de compassion dans certaines lignes, mais rien de plus qui ne soit déjà assez catastrophique.

Mon père est inconnu au bataillon. Pourquoi ? Seulement parce qu'à une époque, ma mère n'avait pas eu le choix, ne serait-ce pour un foutu won, de vendre son corps. Elle trimait chaque jours dans un boulot fatiguant, en tant que dame de ménage. Et le soir, à l'abri des regards, elle couchait avec le premier venu capable de débourser pour ses techniques au lit. Ma mère n'avait rien d'une héroïne, ni d'une justicière. Elle faisait en sorte d'être heureuse à travers ses malheurs. Et bien qu'elle soit toujours éreinté de ses journées, elle ne regrettera jamais ma naissance. Qu'importe qui est le père. ça pourrait être un riche PDG en manque de sexe, comme un vieux pervers dont sa retraite ne lui suffit plus à s'amuser. Mon arbre généalogique se termine ainsi, sans père. Un côté fané, brûlé par l'ignorance de cette pauvre femme sans avenir. Malgré cela, malgré son désespoir et son envie de me confier à une famille, ma mère m'a gardé. Elle n'a pas voulu m'abandonner et s'accabler de remord tout le long de sa misérable vie. Ma mère, c'est mon héros. Elle a beau avoir un passé merdique et des expériences affreuses, elle reste ma mère, celle qui s'est toujours battu pour moi. Pour son fils. Pour cela qui a arrêté net sa "carrière" dans la prostitution. Parce qu'avec ma naissance, cette femme endossait le rôle de mère, de femme de foyer, bien qu'il n'y ait aucun homme avec elle. Aucun homme pour l'aimer et la soutenir. Durant des années, durant un temps indéterminé, elle a prit soin de moi. Toujours à m'écouter, me conseiller, m'épauler, me soutenir. Une véritable guerrière dans un monde de merde. Son boulot lui suffisait à peine à peine le loyer, les charges et un gosse, mais elle y parvenait quand même. En doublant ses heures, ou en bossant comme une charnière la nuit tombée, dans un travail plus clean et ordonné.

Cela a duré huit ans. Huit ans avant qu'elle n'avoue être malade. Une maladie incurable, et qui, qu'importe le nombre de traitement et de médicament, ne lui sauverait jamais la vie. L'année de mes huit ans, ma mère est morte. Emportée par le Sida, cette foutue maladie que tous regarde avec impuissance. Et je suis l'un de ceux qui a dû l'affronter pour le bien d'un être cher. Même aussi jeune, même sans comprendre les conséquences. Mais quand on vous annonce, l'air grave, que votre mère ne reviendra pas... bah, faut bien comprendre ce qu'il en est, gamin ou pas. Ainsi se termine l'histoire de Ahn Sae Hee, ex-prostituée et fabuleuse mère au foyer. Mais c'est aussi ainsi que commence le récit de Ahn Reagan, adopté par la soeur de sa mère, sa tante.

TWO STEP;

Les débuts furent plutôt compliqués et dur à vivre. Fallait que je reprenne des repères dans une maison qui m'était complètement inconnu. En huit ans, j'ai rarement vu cette partie là de ma famille et voila que sans prévenir, je me retrouvai à devoir loger chez eux. Ma tante me regardait souvent avec compassion et amour, alors que mon oncle faisait toujours en sorte d'être un véritable père pour moi. Ils m'aimaient et regrettaient la mort de ma mère, de sa soeur ou de sa belle-soeur. Ils me confiaient leur peine, leur ressentiment quand ils remarquaient que j'allais mal. Ils me remontaient le moral, me changeaient les idées. C'était vraiment une seconde famille à mes yeux. Mais ils n'étaient pas les seuls. Mon cousin et ma cousine ne m'ont jamais regardés comme un gamin en trop. Aucune jalousie, aucune colère. Ils comprenaient malgré leur jeune âge, que je n'étais pas un môme à haïr ou à faire partir. Au contraire. Ils me considéraient comme leur frère, comme le plus jeune de la famille. Certes, je ne portais pas le même nom, mais j'étais l'un des leurs. Année sur année, j'ai grandi avec eux. D'école en école, j'ai suivis mon cousin et ma cousine. Ils me protégeaient contre n'importe qui. Ils me montraient à la moindre défaillance qu'ils étaient là pour me soutenir. Pourtant, j'ai fait l'erreur de les éloigner de mes malheurs.

Au collège, je n'ai jamais eu aucun soucis. Des amis, j'en avais. Des copines, j'en ai eu. Des bisous, j'en ai échangés. Des regards, j'en ai croisés. Alors qu'est-ce qui a changé ce jour-là pour que ma réputation dégringole et que je termine au fond du trou ? L'appréciable Reagan devient la salope de service, le mec que l'on regard de haut, de travers, en rigolant comme des hyènes. J'vais vous dire comment s'est arrivé. à cause d'un enfoiré qui n'a pas supporter se faire piquer sa "copine". Il avait simplement des vues sur elle, mais elle, elle en avait sur moi. Quand la fameuse fille m'a demandé de sortir avec elle, j'ai accepté parce qu'elle me plaisait. Le lendemain, quelques putain d'heures après notre début de relation, une rumeur courait sur moi.

« Il paraît qu'il a couché avec un mec dans les toilettes du deuxième! »
« Mais non, il l'a juste sucé haha! »
« C'est un bon coup, apparemment ? »

Leurs regards devenaient mesquins, rieurs, moqueurs. Alors comme ça, j'ai baisé avec un mec dans le bahut ? à quinze ans ? Première année de lycée et je me fais déjà descendre. Ma "copine" y a cru. Elle s'est barrée. Quant à l'autre connard, il a su jeter de l'huile sur le feu en continuant son manège. Rumeur sur rumeur. Gay. Facilement baisable. Prostitué. Au départ, ce n'était que ça. Seulement ça. Puis un sujet encore plus fâcheux à prit le dessus. Ma mère.

« Un fils de pute, ça s'comprend! »
« Avec une mère pareille, normale qu'il soit aussi facile! »
« Il a que ce qu'il mérite, ce pd »

Bien sûr, seulement ce que je mérite. Prendre des coups, être bousculé, retrouver mes affaires à la poubelle, être enfermé dans la réserve, voir mes plateaux repas tomber au sol, sentir de colle sur sa chaise. Je n'ai rien dit à ma famille. J'ai toujours caché ce calvaire à leurs yeux. Jusqu'au jour où ce n'était plus dissimulable. Jusqu'au jour où le maquillage ne pouvait pas tout recouvrir, ni les excuses d'ailleurs. Mon cousin et ma cousine ont découvert les rumeurs quelques temps plus tard, alors que nous n'étions pas dans le même lycée. Ils ont mit leur grain de sel, jugés les adultes, et on m'a changé d'école. De quartier, même. Loin de ce foutu enfer qui rythmait mes journées depuis des mois. Loin de ces démons.

THREE STEP;

Les premiers temps, je suis resté enfermé dans ma chambre à broyer du noir. Ma famille savait pour les rumeurs et pour les traitements que je subissais à l'école. à ce moment-là, je n'avais aucune envie de les voir, ni même de m'expliquer. Ils ne comprenaient pas pourquoi je me renfermai ainsi, comme une huître. Ma cousine tentait tous les soirs de me parler, à travers la porte. Mon cousin m'invitait à sortir pour jouer au foot ou un sport quelconque. Ma tante me proposait à manger ou me laisser mon plateau devant la porte. Mon oncle me racontait ses journées au boulot. Mais rien n'y faisait. Je ne voulais pas sortir de cette petite pièce, à l'abri des regards. Les mois ont passés, les rumeurs se sont calmées. Reagan passait aux oubliettes. Néanmoins, il m'a fallut encore quelques semaines avant de sortir, de sourire, de parler, de me confier. Mon oncle et ma tante ont prit la décision de m'inscrire dans une nouvelle école, à l'autre bout de la ville. Les trajets étaient long, trop long. Et je ne voulais pas rester en internat. Ce stratagème débile a duré trois ans. Trois foutues années où j'ai dû me réveiller à pas d'heure pour aller étudier et rentrer tard pour coucher quelques heures. Mais c'était mieux ça, que l'acharnement des autres à mon égard. Trois ans sans problème, sans qu'aucun ne sache qui je suis.

Finalement, ils m'ont laissés déménager au plus proche de mon école, dans un appartement miteux mais peu cher, avec un autre jeune homme assez étrange, mais pas tellement méchant ou prise de tête. C'est eux qui s'en occupe, pour pas me forcer à travailler en plus des cours. Ils me donnent des sous aussi, pour faire les courses... Mais ils ne savent pas. Ils ne savent pas dans quoi je passe cet argent. Personne ne sait. Et je tiens à ce que personne ne le sache. Parce que cette merde, ça détruit des vies et que j'ai osé y toucher sans savoir dans quoi je m'embarquai. D'accord, j'étais à bout, au bord de la crise et j'ai rien trouvé de mieux de foutre mon argent de poche dans la drogue. Poudre, comprimé, injection. Le premier qui me passait sous la main, je prenais. Rien à foutre. Aujourd'hui, je m'en mords les doigts. Il est trop tard pour arrêter. Trop tard pour reculer et laisser tomber. Le manque me rattrape plus vite que mes convictions. J'ai beau me dire "j'arrête", mon cerveau m'ordonne le contraire. Au final, ma vie se résume à cela. Prisonnier de la drogue, sur la corde raide, bloqué dans son passé, surveillé par ses démons. Les rumeurs ne tarderont pas à revenir, j'en suis sûr. Pas plus tard que la semaine dernière, quand l'un d'eux à mentionné l'existence d'un aimant à emmerde, dans mon ancienne école. Je les emmerde, franchement.