Moi, c'est Boyoung. Song Boyoung. Chuncheon girl, comme le disaient mes amis de Fukuoka. Une Song de Chuncheon ? Oui, mon père est bien Song Youngnim, le patron de cette fabrique de composants électroniques affiliée à Samsung. Mais alors pourquoi je suis pas restée à Chuncheon, ni cadre au sein de la fabrique familiale ? Parce que mamie. Ma grand-mère maternelle, cette hippie. Une des rares sud-coréennes qui n'a pas honte d'assumer qu'elle vote à gauche et qu'elle a été au festival de Woodstock. Ma grand-mère, et son jardin rempli de fleurs où j'ai passé mes vacances entières. Pourquoi aller à Jeju quand on peut passer ses vacances dans une serre, à boire du thé avec sa mamie (et parfois, un de ses frères, quand il est crevé) ? Depuis que j'ai 5 ans, je voulais travailler dans les fleurs. Botaniste, fleuriste ou qu'importe. J'aime les fleurs. Les voir grandir, mûrir, s'ouvrir, puis faner, métaphore de l'existence humaine. Certaines fanent aussi vite qu'elles ont éclos, tels les coquelicots ; d'autres restent ouvertes longtemps, meurent en silence, et se transforment en une nouvelle plante, comme les pissenlits. Si j'étais une fleur, je serais sûremet une de ces roses sur le point d'éclore mais qui menace de pendre et a besoin d'un tuteur.


C'est grâce à ma grand-mère et son tempérament anticonformiste que j'ai eu le courage de quitter le nid familial. Elle m'a beaucoup encouragée. Il faut dire que 4 frères et soeurs, un père absent, ça pèse vite. Pourtant, ils n'étaient pas spécialement chiants. Joohyun, mon ainé, se prenait pour notre garde du corps, vu qu'il avait 6 ans de plus que moi. Les jumeaux, Donghae & Dongjun, nés deux ans après moi, ont toujours été bruyants, mais avec les années on s'y habitue. Quand à l'autre fille de le famille, Bohee, elle avait 12 ans la dernière fois que je l'ai vue, et elle est assez effacée par rapport au reste de la tribu. Vous n'avez, je suppose, aucun mal à voir le rôle que je tenais entre eux, non ? Oui, c'est ça. La grande soeur bavarde qui taquine le reste du troupeau. Une vraie teigne, vous pourrez demander à Joohyun.

Après avoir sacrifié mon adolescence sur l'autel de l'honneur de la famille (après tout une Song qui ne va pas à l'université, quelle honte), j'ai quitté cette ville étouffante entre les collines pour une prestigieuse école d'arrangement floral à Fukuoka, au Japon. 3 ans de ma vie. J'y ai appris les bases de mon métier. C'est aussi là-bas je j'ai rencontré ce mec. Haruma, le musicien un peu barré, très bon ami de ma partenaire de recherches Atsuko. Haruma, barré, souriant, sur 10000 volts, terriblement beau, beau comme un désastre, maigrichon, avec son regard d'acier, qui m'appelait Sakura. Je n'avais jamais aimé avant lui ; je pense ne jamais aimer autant. Entre deux cours, deux concerts, le septième ciel, après un petit verre de vodka. Pour lui, le petit verre n'a cessé de grandir. Il est devenu accro. Moi, je devenais accro à lui. Il dérapait de plus en plus, j'en pleurais de plus en plus. Les bleus, les mots, les larmes. Je l'ai quitté, dès le lendemain de notre remise de diplôme. Goodbye Haru, au revoir le Japon, je vais aller vivre à Séoul et devenir la fleuriste que mamie voulait que je soit. 

Me voici donc à Séoul, cette ville labyrinthique et sur-peuplée, où les gens ont bien besoin de quelques fleurs. Surtout que les jeunes de mon âge ici, ils brûlent leur existence par les deux bouts. J'espère ne pas finir comme eux... Et encore moins comme Haru. maintenant, il est temps pour moi de chercher un associé et d'ouvrir cette foutue boutique.