Je m’appelle Jade. Il paraît qu’à l’étranger, c’est un prénom de fille. Je n’ai jamais vécu que dans ma famille adoptive, qui prend soin de moi depuis que je suis âgé de quelques jours. Collectionneuse de pierres précieuses, ma mère a choisi de me nommer avec le nom de sa favorite. Aussi, pour lui faire honneur, je porte souvent des touches de couleur verte, sur mes vêtements généralement noirs.
Je tiens à prendre la parole pour vous raconter ma petite histoire. Je ne connais pas mes géniteurs, je ne les connaîtrai jamais et cela ne me fait rien. Ma vraie famille est celle qui m’a élevé et m’a donné mes nom et prénom. Je parle facilement de ce sujet, ce n’est pas un problème pour moi.
Mes parents sont toute ma vie, même si je mène une vie séparée à présent. Je leur rends visite dès que possible. Ma mère, une femme pleine de douceur et si gentiment maladroite. Un vrai cordon-bleu - c’était d’ailleurs son métier, cuisinière, qui nous cuisinait tous les jours des plats nouveaux, mais parfois un peu étranges... (le saumon au vin, c’est spécial quand même... d’où elle a inventé ça ?!). Elle m’a toujours soutenue mais elle tenait vraiment à ce que je ramène des bonnes notes et que je fasse du sport et une activité. J’ai à peu près tout essayé, entre le tennis et la piscine, pour finir avec l’équitation. Passer du temps avec les chevaux me faisait du bien. Et puis, j’ai toujours aimé les animaux, surtout les chats. Dans mon appartement actuel, j’en compte trois ; Chocolat, Chapristi et Compote.
Parlons à présent de mon père. Militaire, il m’a inculqué le sens des conventions, du respect et de la vie. Il m’a aussi appris à me servir des armes, passé l’âge de quinze ans. Je ne crois pas que c’était légal, mais son rang lui a visiblement permis au moins d’emporter quelques armes chez lui (trois, ne vous inquiétez pas, pas cinquante !). « Juste histoire de se protéger », disait-il... et dit-il encore. Bref, il m’a donné l’envie de faire partie de l’armée de terre à ses côtés et ceux de mes futurs camarades. Je me suis engagé dès l’âge de dix huit ans, après avoir passé des tests médicaux qui m’assuraient que j’étais totalement capable de faire mon service. Et c’est fier comme un coq que j’ai commencé ma nouvelle vie de militaire.

Après les deux ans réglementaires, j’ai assuré vouloir rester dans l’armée. Je suis passé dans un groupe qui formait les spécialistes du tir, à petite, moyenne et surtout longue distance. Bref, des pros qui savaient aussi bien se servir d’un pistolet que d’un fusil ou je ne sais quoi d’autre. J’avais pris ma décision ; je deviendrai coûte que coûte un excellent - « bon » n’est pas suffisant à mes yeux - sniper et mes parents seraient fiers de moi.
Les années qui passent. L’armée était mon unique préoccupation, pas de vie amoureuse, seuls ma famille et mon métier comptaient à mes yeux. J’arrivai à un moment clé de ma vie de militaire ; ma dixième année. Et pour l’occasion, un grand check up mais IRM et toute la batterie d’examens, je me sentais quelque peu étrange ces temps-ci. Rien de grave, je pensais.
Et bien le rien de grave, il avait bon dos.
Le diagnostic est tombé comme un coup de massue. J’ai cru que je ne comprenais plus le coréen. Que c’était un rêve. Ou plutôt, un cauchemar.
À peine la nouvelle du cancer de la thyroïde annoncé, j’étais viré de l’armée de terre. Sans plus de cérémonie. Je commencerai une nouvelle vie, me disait-il. Il fallait que je me soigne. Leur avais-je précisé que c’était un cancer métastasé ? Je décèderai à plus ou moins long terme. Je n’ai plus qu’à me battre de toutes mes forces, comme lors de mes missions dans l’armée.
Me battre ? Je savais faire. Mais encore, en avais-je vraiment envie ?

Me voilà dans mon nouveau chez-moi, avec mes chats, à la recherche d’un travail et condamné à me rendre presque tous les jours à l’hôpital, et trimballer une bouteille à oxygène, pour aider mes poumons, très atteints. Les tubes dans le nez, il y a plus sexy. Je commence à être « blasé » (disent les jeunes !) de ma maladie. Les gens dans la rue me regardent avec compassion et pitié.
Qu’ils aient pitié d’eux-même.